Oscar l’enchanteur osait défier la réalité à grands coups de rêves et nous entraînait de l’autre côté du miroir d’un claquement de doigt. Ce n’est pas un hasard s’il avait choisi Ivry la banlieue rebelle pour s’installer après avoir été contraint de fuir les faubourgs populaires de Santiago du Chili.

Par une pirouette inattendue, l’ami s’en est allé et j’ai craint le pire pour son théâtre : le lieu et plus encore les gens.  J'ai ravalé mes larmes et, comme beaucoup d’autres, j'ai prié pour que la magie du temps laisse notre saltimbanque génial tirer sa révérence et que la troupe puisse tourner la page de la parenthèse enchantée.

Si je m’étais écouté, je ne serais jamais retourné à Aleph, pour éviter d’avoir à affronter les fantômes et les regrets. Je n’ai pas su comment refuser une invitation amie, et  quitte à me retrouver dans la place je me suis assis au premier rang. Puis, j’ai fermé les yeux. Longtemps… Un seul claquement de voix, le premier, et  la magie a opéré… Sylvie, rayonnante, entourée comme toujours, ou mieux, comme jamais, de la troupe, des fidèles compagnes de route, et de quelques jeunes aussi, d’une énergie folle. Sur la scène chamboulée, tout était à sa place. Mais rien n’était tout à fait comme avant. Il y avait un je ne sais quoi de plus doux, une direction d’action discrète, mais précise, une chorégraphie chamboulée… Sylvie ? Qui d’autre ? Elle rayonnait. 

Et sur les visages des actrices  historiques, la certitude qu'elles étaient pleinement à leur place, heureuses d’avoir pris le relais du maître sans renier l'héritage… D’assumer la nouvelle répartition des rôles, fortes de leur légitimité et gentiment soucieuses de ne pas s’en laisser compter.

Le  nième coup de théâtre de notre troupe adorée est décliné au féminin et  ajoute de l’élégance à l’insolence rebelle à laquelle nous étions habitués avec Oscar. Cela n’a rien de partisan, encore moins de clivant, que de souligner cette révolution tranquille. Reconnaissons juste que nous avons des soeurs géniales, qu'on les aime, et que les hommes de la troupe ont une chance inouïe.

Jean-Michel Rodrigo, documentariste