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LUIS SEPULVEDA
16 Avril 2020
Un fauteuil pour Luis Sepúlveda
Depuis aujourd’hui il y a un fauteuil vide dans le théâtre de mon cœur. C’est le fauteuil de Lucho Sepúlveda, un fauteuil qui a toujours été disponible pour le recevoir avec les honneurs, à toutes les représentations et partout où la vie pouvait nous réunir.
Mon amitié avec Luis Sepúlveda est intimement profonde et remonte au temps où Lucho n’était pas encore Luis Sepúlveda. Je faisais mes premiers pas sur les planches, alors qu’il était jeune élève à l’Institut National. Il est devenu un habitué de notre théâtre qui venait de voir le jour dans une vieille bicoque de Lastarria 90.
Un jeune qui, comme tout bon lycéen de l’éducation publique, n’avait pas un sou pour acheter son ticket d’entrée mais qui, enthousiasmé par notre style insolent et libertaire, profitait de l’absence de contrôle et du bref tour d’horizon que l’on faisait sur le public, sans préoccupation de la recette, et avec pour seul intérêt, notre amour immense du théâtre.
Jusqu’à ce qu’un jour, l’Aleph décida, comme mesure de bonne administration, de mettre fin à l’anarchie et ordonna aux jeunes chargés de la billetterie de ne laisser entrer personne sans billet, comme tout bon théâtre qui se respecte. Ce jour-là, bien sûr, Lucho se présenta accompagné d’une jeune fille sur laquelle il avait porté son dévolu et qu’il voulait impressionner en l’invitant à un spectacle de l’Aleph et en partageant la fin de soirée avec les acteurs. Un préliminaire magistral aux jeux de l’amour.
Il fut la première victime de notre nouvelle mesure. ʺNon Monsieur, la maison ne fait plus créditʺ. La jeune fille ouvrit son sac et trouva juste ce qu’il fallait pour payer une entrée. L’Aleph, restant malgré tout généreux, fit une exception et accepta de vendre deux tickets pour le prix d’un.
Cette honte que Lucho Sepúlveda porta toute sa vie et qu’il me resservit à chaque fois qu’on prenait une cuite ensemble, marqua une amitié qui nous lia pour toujours, joignant nos destins et nous rendant complices d’une histoire qui nous unissait depuis nos origines.
Nous sommes tous deux nés en province, lui à Ovalle et moi à Colín, première station de la voie ferrée reliant Talca à Constitución. Arrivés à Santiago, nous avons étudié à l’Institut National, tous deux avec notre sang Mapuche, moi pour mes ancêtres Picunche, et lui par le nom de sa mère, Calfucura. Lui, racontant la vie dans ses romans et moi, la représentant sur scène. Moi, faisant du théâtre dans les quartiers populaires et lui, accompagnant le Président Allende dans sa croisade pour le Chili. Et dans l’exil, toujours deux indiens traversant l’océan, pour conquérir l’Europe d’un revers de la main avec la plume et avec le théâtre : nos armes invincibles pour la paix.
Puis nous fûmes deux oiseaux migrateurs, errant de par le monde, et nous nous sommes souvent retrouvés. Pas autant qu’on le souhaitait, mais nous n’avons jamais perdu l’opportunité de nous parler à distance, et encore moins de faire la bringue et de profiter de la vie quand elle nous donnait la possibilité de nous retrouver… Que ce soit dans sa maison de Gijon en Asturies ou chez moi à Vitry, mais aussi à chaque fois que notre mission de conteurs d’histoires nous réunissait.
Nous avons eu aussi la chance de travailler ensemble et de vivre des moments inoubliables. Quand Lucho, passant par Paris, joua dans ʺLe Kabaret de la Dernière Chanceʺ, interprétant un personnage que j’ai créé pour l’occasion… Quand j’ai joué en Argentine dans son film "Nowhere" et que nous bavardions des nuits entières sous les étoiles du ciel de Salta.
Nous avons vécu ensemble l’aventure de la vie et, comme tout le monde le sait, Lucho fut toujours un aventurier, un globe-trotteur audacieux et persévérant, courageux et loquace. Alors, quand il écrivait ʺLe vieux qui lisait des romans d’amourʺ ou ʺHistoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à volerʺ et tous ces contes et récits qui peuplent sa narration, il n’a fait que sublimer les histoires qui ont croisé son chemin, et qui ne lui ont pas laissé d’autre choix que de les publier pour conquérir les cimes de la littérature universelle.
Oui, nous étions amis. Alors, quand j’ai appris le 29 février qu’il était malade, devenant ainsi un des premiers créateurs victimes de la pandémie, j’ai ressenti qu’on m’internait moi-même à l’Hôpital Universitaire Central des Asturies et qu’on me plongeait dans le coma sous respiration artificielle, luttant pour la vie. Et aujourd’hui, quand j’ai appris son départ, j’ai senti au fond de moi-même que le souffle de la vie s’échappait dans un voyage sans retour.
Aujourd’hui, j’ai le cœur brisé et le fauteuil vide. Mais il sera toujours réservé pour le jour où le Lucho de ma jeunesse et le Luis Sepúlveda de toujours s’échappera de l’immortalité pour venir faire un petit tour au Théâtre Aleph, où une entrée non payante lui est garantie, par ordre du commandant de bord.
ÓSCAR CASTRO
16 avril 2020
Personne ne parlera mieux de notre fraternité que mon ami Lucho
Un jour, alors que nous répétions une scène du film que nous faisions ensemble - parce qu’Oscar, alias Le Cuervo ne s’unit pas, ne se réunit pas, mais fusionne, selon le dicton chilien, et il partage ainsi tout ce qu’il sait avec une incomparable générosité -, je lui ai raconté une vieille rancœur qui faisait partie de ma géographie sentimentale : un jour, il y a de cela de nombreuses mais très nombreuses années, je n’ai pas pu entrer à l’Aleph à Santiago, parce que je n’avais pas assez d’argent pour payer le ticket. Ce qui suit pourrait être un conte, mais ça n’en n’est pas un.
Tu ne sais pas combien tu vas me manquer
Una butaca para Luis Sepúlveda
Desde hoy hay una butaca vacía en el teatro de mi corazón. Es la butaca de Lucho Sepúlveda, que desde siempre ha estado disponible para recibirlo con honores en cualquier función y en cualquier lugar donde nos junte la vida.
Mi amistad con Luis Sepúlveda es entrañable y se remonta a los tiempos en que Lucho todavía no era Luis Sepúlveda. Yo daba mis primeros pasos en las tablas, cuando un joven alumno del Instituto Nacional se convirtió en un visitante obligado de las funciones que nuestro recién formado Teatro Aleph realizaba todos los días en la vieja casona de Lastarria 90 que lo vio nacer. Un joven que como buen estudiante de la educación pública no tenía plata para comprar su entrada y que, entusiasmado con nuestra forma de teatro irreverente y libertario como él, aprovechaba el nulo control y la vista gorda que hacíamos, despreocupados del billete y enfocados en el inmenso amor al teatro.
Hasta que un día, como una medida de buena administración que no pasó de ser un fugaz saludo a la bandera, en el Aleph decidimos que había que poner fin a la chacota e instruimos a los chicos de la boletería que no iba a entrar nadie que no pagara su entrada, como en cualquier teatro decente que se hiciera respetar. Ese día por supuesto que llegó Lucho y más encima venía acompañado de una chica en la que había puesto todos sus empeños y a la cual quería impresionar invitándola a una obra del Aleph y a compartir con los actores después de la función. Una movida magistral en el juego del amor.
Fue la primera víctima de la nueva ley. No señor, la casa no da crédito. La chica abrió su cartera y juntando peso tras peso le alcanzó para una sola entrada. El Aleph se puso caritativo y haciendo una excepción aceptó el dos por una.
Ese bochorno que Lucho Sepúlveda se encargó toda la vida de echarme en cara cada vez que nos íbamos de copas, marcó una amistad que nos uniría para siempre, juntando nuestros destinos y haciéndonos cómplices de una historia que nos hermanó desde nuestros orígenes.
Los dos nacimos en provincia, él en Ovalle y yo en Colín, primera estación del ramal de Talca a Constitución, llegamos a Santiago y estudiamos en el Instituto Nacional; los dos con sangre mapuche, yo por mis ancestros picunches y él por el apellido Calfucura de su madre; él narrando la vida a través de sus novelas y yo representándola sobre el escenario; yo, haciendo teatro en las poblaciones y él acompañando al Presidente Allende en su cruzada por Chile; y los dos en el exilio, dos indios que atravesamos el océano para, en una vuelta de mano, conquistar Europa con la pluma y con el teatro, nuestras armas invencibles de la paz.
Para ser dos indios pájaros errantes migrando por el mundo, nos vimos harto. No tanto como quisiera, pero no perdimos oportunidad para hablarnos a distancia y menos para irnos de juerga y calentar la vida cuando ella nos dio la maravillosa posibilidad de reencontrarnos tantas veces, en su casa de Gijon en las Asturias, en la mía de París y en cualquier lugar donde nos juntó el oficio de contar historias.
Tuvimos también la suerte de trabajar juntos y vivir experiencias inolvidables, como cuando el Lucho, de paso por Paris, actuó en ʺLe Kabaret de la Dernière Chanceʺ, haciendo un personaje que escribí especialmente para la ocasión; o cuándo en Argentina actué en su película "Nowhere", conversando noches inolvidables y estrelladas bajo el cielo de Salta.
Vivimos juntos la aventura de la vida y, como todos saben, Lucho fue siempre un aventurero y trotamundos audaz y persistente, valiente y lenguaraz. Por eso cuando escribió ʺEl viejo que leía novelas de amorʺ, La "historia de una gaviota y del gato y que le enseñó a volar " y la zaga de cuentos y narraciones que pueblan su narrativa, no hizo más que sublimar sus propias historias que la vida le puso en el camino y que no le dejaron más opción que publicarlas para conquistar las difíciles cumbres de la literatura universal.
Sí, fuimos muy amigos. Por eso, cuando el 29 de febrero recibí la noticia del contagio, transformándose en uno de los primeros creadores víctimas de la pandemia, sentí como si fuera a mí mismo a quien internaban en el Hospital Universitario Central de Asturias y me mantenían en coma inducido luchando por la vida. Y hoy, cuando supe de su partida, fui yo mismo el que sentí como se escapaba el soplo de la vida en un viaje sin retorno.
Hoy tengo el corazón roto y la butaca vacía. Pero estará siempre reservada para cualquier día en que al Lucho de mi juventud y al Luis Sepúlveda de siempre le dé por escaparse de la inmortalidad y venir a darse una vuelta por el Teatro Aleph, donde por derecho propio, no paga.
ÓSCAR CASTRO
16 de abril de 2020
Nadie hablara mejor de nuestra hermandad que mi amigo Lucho
Un día, mientras ensayábamos una de las escenas de una película que hicimos juntos –porque Oscar alias el Cuervo no se une, no se funde sino que se “arrejunta” conforme al decir chileno, y desde esa posición comparte con incomparable generosidad todo lo que sabe–, le conté una lejana bronca que era parte de mi geografía sentimental: una vez, hace muchos, pero muchos años, no pude entrar al Aleph en Santiago porque no me alcanzaba para pagar la entrada y, lo que sigue, podría ser un cuento pero no lo es. Me explico: Había una luna llena enorme en el desierto de Cafayate, en la frontera entre Argentina y Bolivia, y Óscar Castro rodaba una escena nocturna de Nowhere junto al actor argentino Ariel Casas. Los dos lo hicieron estupendamente, bastó una sola toma para que la camarógrafa exclamara “vale”, “grandes los dos” y a mí me correspondiera decir que la escena quedaba en la película. Entonces, Óscar y Ariel pasaron a quitarse el maquillaje, a dejar el vestuario, y a la salida de la roulotte [casa rodante] y bajo un cielo que mostraba millones de estrellas, Óscar me abrazó y nos fuimos a mirar un rebaño de guanacos que también participaban en la película y que, vaya uno a saber por qué diablos, solo aceptaban órdenes de Óscar y al domador lo escupían con entusiasmo cada vez que intentaba recuperar su papel de mandamás del rebaño. Mirando las estrellas y los guanacos, Óscar me dijo: “Hermano, quiero que sepas que desde ayer, o desde antes de ayer, tienes entrada libre en todas las salas donde se presente el Aleph”. ¿Saben lo que siente el director de una película cuando un actor ha hecho más de lo que uno quería, cuando le ha dado tal humanidad y riqueza a un personaje que uno mismo se asombra de lo que ha escrito? Dos años más tarde fui a la graduación de mi hijo. Como trabajo de tesis presentó un cortometraje titulado Un amigo de mi padre, y ahí estaba Óscar, el Cuervo, con su inagotable capacidad de ser lo que un guion exige, con su talento para dar vida a lo que nace como una incierta posibilidad. El director de la escuela de cine de Munich, Wim Wenders, al final de la proyección se me acercó y me dijo: “Ese tipo, tu amigo, es un monstruo; qué pedazo de actor”. Y yo, naturalmente, contesté: “Uno sabe dónde buscar a sus amigos”.
Luis Sepúlveda
No sabes cuanto me vas a faltar.
El cuervo martirizado,

THEATRE ALEPH AU FESTIVAL SANTIAGO A MIL
enero 2020
Nuestra Sala Julieta se complace en participar una vez más en el prestigioso "Festival Santiago a Mil", en su versión 2020. Para ello, nuestra compañía Teatro Aleph presenta 2 icónicas obras del extenso repertorio de Oscar Castro: "EL REY" y "EL 11 DE SEPTIEMBRE DE SALVADOR ALLENDE"
EL REY
FUNCIONES: 3, 4 y 5 de enero / HORARIO: 19.00 Hrs / VALORES: $3.000 General
Dramaturgia: Oscar Castro
Adaptación y Dirección: Gabriela Olguín
Elenco: Gabriela Olguín, Athenea Lagos y Camila Molina
Técnica: Nahuel Vásquez
Reservas: +569 90692056 y al mail cuervoaleph@gmail.com
Reseña
-“Erase una vez un rey” es la obra de teatro chilena más representada en América Latina y en el mundo. Fue estrenada en Chile en 1972 y de ahí no ha dejado de estar presente en diferentes escenarios por espacio de 47 años. Cuenta es la historia de tres vagabundos que viven en una escombrera, bajo un puente de Paris. Cansados de esa vida, deciden un día inventar un juego: Para poder gozar las delicias del poder, y como no tienen dinero para pagarse un empleado, un mozo, se ponen de acuerdo y deciden que durante una semana uno de ellos es rey y gobierna con todos los poderes, y el otro es su doméstico, su vasallo. Y después, la semana siguiente, cambiarán los roles …
EL 11 DE SEPTIEMBRE DE SALVADOR ALLENDE
FUNCIONES: 10, 11, 12, 17, 18 Y 19 de enero / HORARIO: 19.00 Hrs / VALORES: $3.000 General
Dramaturgia y Dirección: Oscar Castro
Elenco: Oscar Castro, Gabriela Olguín, Atenea Lagos, Jose Zambelli, Daniel Zambelli, Sergio Bravo, Alfredo Cifuentes, Camila Molina, Nahuel Vasquez, Ruben Casanova, Valentina MoraleS
Coreografía: Sylvie Miqueu
Músico: Ignacio Hernandez
Reservas: +569 90692056 y al mail cuervoaleph@gmail.com
Reseña
Un dramaturgo queda encerrado en un teatro después de que todo el mundo ha partido. Solo, en medio de accesorios de distintas obras, se encuentra con personajes del pasado, que deambulan siempre en su memoria en busca de resurrecciones, nuevas vidas hechas de momentos de comedia y tragedia. Entonces vuelven a la superficie los acontecimientos de un 11 de septiembre ya lejano y la figura emblemática de Salvador Allende, quien llevó con él los sueños de todo un pueblo en búsqueda de justicia y libertad. Estrenada en 1996 por el Teatro Aleph en París, esta obra —escrita por el fundador de la compañía, Oscar Castro, y dirigida por el fallecido director de origen egipcio Adel Hakim— se remonta en el país de la mano de Teatro Aleph Chile, con elenco nacional.

FESTIVAL EN TEATRO ALEPH CHILE
4 al 20 de octubre
Festival « Mito o Realidad »
El 10 de Octubre, en la Embajada de Francia en Chile, se realizará el lanzamiento del libro de los 50 años del Teatro Aleph « 50 años de Mito o Realidad ». En este libro la pluma de Sergio Bravo va contando y narrando, a traves de fotografias, la gran trayectoria de este grupo, como tambien la trayectoria de Oscar « Cuervo » Castro.
Para esta magna ocasión el elenco de Chile y el elenco de Francia se unen para dar vida a la ultima obra de Oscar Castro estrenada en Paris, como tambien, su trabajo galardonado recientemente en Francia « Teatro de gente y oficios » y su obra con mas montajes en toda Latino america « El Rey ».
Originando el Festival « Mito o Realidad » del 4 al 19 de Octubre
Todos Invitados !!!!

DISCOURS DE JEAN-CLAUDE LEFORT
17 janvier 2019
Lors de la remise de la légion d'honneur à Oscar Castro à l'ambassade de France au Chili
Monsieur l’Ambassadeur, Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les élus et les représentants des Corps constitués,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis chiliens et français,
Chère Sylvie, Cher Oscar,
Je tiens, avant toute chose, au tout début de cette cérémonie qui nous réunit ce soir, à remercier très chaleureusement l’Ambassadeur de France au Chili, son Excellence Roland Dubertrand. Sans la moindre hésitation, en effet, il a accepté de nous recevoir en ce lieu pour procéder à cette décoration officielle de notre cher Oscar Castro. Ces remerciements sincères s’adressent aussi à toutes ses collaboratrices et tous ses collaborateurs qui ont si bien œuvré pour cette soirée. Merci à vous toutes et tous, du fond du cœur.
C’est une cérémonie très particulière qui nous réunit en ce jour, et cela pour plusieurs raisons.
La première tient à l’esprit et l’univers interne très particuliers de l’homme que nous honorons ce soir. Je dois préciser. Nous pensons tous, ici, qu’Oscar Castro est bien présent avec nous en ce moment. Mais est-ce certain ? Est-on sûr qu’il n’est pas en ce moment même sur un quai de métro parisien à la recherche de son cher Rigoberto – le nom secret de son Dieu – ou bien s’il n’est pas avec son ami Adel Hakim dans ce bar sulfureux dénommé « L’œil de verre » ? Est-on bien sûr, vraiment sûr, que c’est bien Oscar Castro qui est bien présent, là, à côté de moi et non point sa doublure, José Miranda ? Si vous pouvez trancher ce point, vous autres qui êtes présents, eh bien, vous avez bien de la chance car moi je doute. Et malgré cette épaisse incertitude qui m’habite, je dois pourtant prononcer un discours pour lui ! C’est un véritable supplice mental qu’il me fait subir une nouvelle fois.
D’autant que dans tout autre cas que le sien nous pourrions avoir un moyen sûr et certain pour savoir qui est là exactement.
En effet, dans ces circonstances aussi solennelles, nous devrions pouvoir déceler quelques gouttes de sueur perler sur son front. L’émotion devrait se lire au travers ces quelques gouttes, au moins quelques gouttes. Eh bien, il n’en est rien aujourd’hui avec l’homme présent à mes côtés. Vous pouvez tous le constater comme moi. Rien. Pas une petite goutte. Et il n’en est ainsi pour une raison bien étrange : Oscar est Indien et les Indiens ne suent pas !
Si bien que je ne sais toujours pas si c’est bien Oscar Castro qui ne sue pas qui est là ou bien si c’est l’un de ses personnages qui joue son rôle, sans ressentir, du fait qu’il ne soit pas directement concerné, la moindre émotion. Ce qui expliquerait cette absence de la moindre trace de sueur.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, il est encore une chose plus troublante.
Figurez-vous que dans son livre au titre tellement limpide… pour lui, un livre qui s’appelle « Après l’oubli, le souvenir » – limpide, n’est-ce pas ! – il se trouve qu’Oscar Castro a déjà écrit et décrit cette cérémonie. Oui, oui, vous entendez bien ! Certes dans son livre cela se passe à Paris. Mais il a déjà une parade : ce livre il l’a écrit en 2011. Cela fait 7 ans. Il a donc une excuse. On pourrait donc lui accorder quelques circonstances atténuantes. Sauf… sauf que dans ce livre le discours de remerciements qu’il doit prononcer ce soir est déjà écrit en intégral ou presque ! Le sien, oui ! Mais pas le mien !
Il est des moments d’étrange solitude, je dois le confesser chers amis, et je vous remercie d’avance pour votre indulgence !
Il ne reste donc qu’une chose à faire : nous résigner à considérer que celui qui est là, et que nous honorons ce soir, est bien Oscar Castro en personne. Si ce n’est pas lui de toute façon ces paroles lui seront rapportées par son Diable à lui qu’il a nommé Nicanor dans la dernière pièce de sa trilogie – « La démocratie de la peur » – la pièce de théâtre qu’il donne en représentation actuellement au Chili. Son Nicanor est partout, surtout là où on l’attend le moins.
J’espère, Monsieur l’Ambassadeur, que toutes les vérifications d’usage ont été bien effectuées à l’entrée car on ne sait jamais avec ce genre de personnes qui sont en réalité des personnages, des professionnels absolus du « mentir-vrai ».
Donc, au vu des circonstances si étranges qui nous enveloppent ce soir, et pour me prémunir au mieux des aléas possibles, je ferai comme Oscar Castro quand il débute sa pièce de théâtre, en vous épargnant toutefois la danse spéciale qui va avec son rituel : j’implore donc tous les Dieux qui veillent sur le Chili pour que tout se passe bien ce soir ! Du moins le moins mal possible !
On pensera peut être que je délire un peu en ce moment, que je suis dans la fantasmagorie ? Eh bien non ! Pas du tout !
Je ne délire pas. Je suis juste et tout simplement en plein ALEPH, du nom de son théâtre qui dit tout d’Oscar Castro et de son œuvre.
Ce nom – Aleph – est tiré du roman de José Luis Borges qui porte précisément ce même nom étrange
ALEPH c’est quoi ? On sait que ce nom est non seulement la première lettre de l’alphabet hébreu mais c’est aussi une figure mathématique et pour Borges c’est un point imaginaire – enfin, normalement il est imaginaire ! – qui réunit en un même endroit et en un même lieu tout le passé, tout le présent et tout le futur.
C’est cela le théâtre d’Oscar Castro et de ses amis qui se résume et se décrit de la sorte avec ce seul nom étrange : ALEPH.
Ce théâtre a une longue existence puisqu’il est né ici, au Chili, tandis que notre ami Oscar, alors jeune étudiant, faisait des études de journalisme. Il fonda ce théâtre en 1968. Il revit aujourd’hui au Chili et c’est une belle revanche sur un passé terrible.
D’emblée Oscar et ses amis situaient ce théâtre dans une lignée très marquée : le Che et son « Soyons réalistes, exigeons l’impossible ! » ; les Beatles avec leur « Come togheter » ; le « Peace and love » qui dit tout en trois mots ; les événements de mai 1968 en France et leur « Sous les pavés, la plage ». Et puis aussi, quelques maudits temps après, ce cri mondialement repris « El pueblo unido jamas sera vencido ». Bref, son théâtre est né sous des auspices qui sont tout sauf neutres. Il s’agissait alors pour ces jeunes chiliens d’ouvrir une nouvelle page du théâtre chilien – un théâtre chilien qui n'était pourtant que récemment créé.
Un vrai challenge mais un challenge légitime car si on n’est pas audacieux quand on est jeune, quand donc le sera-t-on ? Bien que de ce point de vue – il faut qu’il se singularise à tout prix – Oscar défie toutes les lois humaines car jeune il est resté et, pour notre bonheur, il le restera toujours ! Et d’emblée ce théâtre connut une belle renommée en Amérique latine. Il donnait vie à un théâtre-fiesta, subversif, corrosif, plein d’humour et de dérision.
Il reste que, en pareille compagnie avec laquelle il est né, ce genre de théâtre peut plaire mais aussi déplaire. Chacun est libre d’apprécier. Une chose est sûre c’est que cela déplut non pas au public – je l’ai dit – mais à la « pinocheria » qui venait en 1973 de se « putscher » au pouvoir au Chili. Une nuit noire s’abattait alors sur ce beau pays si joliment représenté par Pablo Neruda. Pablo, notre ami, qui devait d’ailleurs nous quitter quelques jours après ce 11 septembre, un 11 septembre dont on ne parle pratiquement plus.
Le régime d’alors saisit les moyens de travail et de représentation de notre cher Oscar et de ses jeunes copains. Oscar continua pourtant et il donna des représentations d’une pièce sans équivoque quant à son contenu : « Al principio existia la vida ».
Ce fut trop – beaucoup trop – pour les putschistes. Ils l’arrêtèrent, direction un des stades devenus camps de concentration.
Pour lui ce fut le camp de Punchuncavi puis celui de Ritoque, tout ceci après être passé par le centre d’interrogatoire terrible dénommé Grimaldi. Tout cela se passait près de Santiago.
C’étaient des temps épouvantables où, comme le chantait Léo Ferré, « On avait mis les morts à table/ On prenait les loups pour des chiens ».
Effroyable époque où l’on coupait à la hache les doigts d’un guitariste ; où de l’Espagne du golpe de 1936 resurgissait comme des effluves du passé l’écho de slogans nauséabonds tels que « Vive la mort » ou bien « A bas l’intelligence ». Des temps où le régime chilien jetait en plein océan des personnes vivantes depuis des hélicoptères, des personnes disparues à jamais.
0360. C’est le numéro qu’on donna à Oscar Castro dans le camp. 0360. Une façon pour les factieux de réduire les êtres humains à un simple chiffre, à leur retirer toute humanité, à les broyer, à les animaliser. 0360.
Oscar trouva en lui les moyens de ne pas tomber dans ce plan morbide et à déjouer ces noires volontés. Il organisa, dans ces camps de concentration, des pièces de théâtre. Le théâtre : son étoile la nuit, son soleil le jour. Des pièces et d’autres moments festifs furent montés tous les vendredis et ils connurent aussitôt un beau succès parmi les prisonniers. Ces moments hebdomadaires attiraient même les geôliers alors que ces pièces et représentations dénonçaient, de manière certes oblique mais nette, la terrible situation d’alors et son responsable principal : Pinochet ! Chacun dans le camp redoublait d’imagination pour la réussite de ces moments peu ordinaires organisés par Oscar, El Cuervo qui s’improvise Maire dans ce camp.
Il s’explique dans son livre sur le sens de ces activités peu ordinaires. Je le cite : « Les prisonniers avaient une consigne qui consistait à ne pas permettre aux militaires de voir notre tristesse. Parce que c’était la seule chose qu’ils attendaient en nous infligeant des humiliations, leur travail psychologique pour nous casser. »
C’est ainsi qu’il survécut à cet enfermement et à cet avilissement : grâce au théâtre. Une autre façon pour lui de dire « Résistance » et de rester humain.
Mais après son arrestation et les camps de concentration, ce fut l’expulsion du Chili et le bannissement de son pays. Il arriva en France, une simple valise à la main. En 1976.
La France se montra ouverte et fidèle à ses valeurs. Elle devait accueillir plus de 15.000 Chiliens chassés de leur mère-patrie. La France devenait pour eux la patrie adoptive.
Tout cela, même si je ne m’y étends pas trop, met en évidence un second aspect très particulier qui plane sur la cérémonie de ce soir. On en conviendra aisément. Cette Légion d’honneur est remise à un survivant et à un témoin direct de cette époque qu’on ne peut pas oublier et qu’on ne voudrait jamais plus voir ou revoir nulle part sur cette planète. Jamais plus.
La France... Paris… Oscar y vient non pas en raison d’un choix véritable hormis la destination mais suite à une décision d’une extrême brutalité. Expulsion… Et bannissement de son pays. La douleur est terrible, immense. On ne sait plus. On ne sait rien. Toute une vie bascule. On espère un retour rapide. Et puis il faut s’y faire et finir par s’en convaincre : cela durera des années… et on ouvre sa valise.
Oscar fut accueilli en France par une très grande dame du théâtre français : Ariane Mnouchkine.
Après avoir continué d’écrire et de jouer des pièces en espagnol – façon pour lui de croire sans doute en un séjour temporaire – il prit la décision de transmettre en français. C’était nécessaire pour lui. Et pour son travail de création. C’était en 1977.
Il écrivait, avec ses amis, une première pièce qu’il transforma assez vite traitant de la situation de l’exilé, une pièce jouée par une troupe de comédiens eux-mêmes exilés. Etant à l’étranger pour deux mois, Ariane Mnouchkine lui prêta son théâtre, « La Cartoucherie de Vincennes ». La pièce d’Oscar, « L’exilé Mateluna », connu un succès immédiat et elle fut présentée dans plusieurs villes de France ainsi qu’à l’étranger.
Gabriel Garcia Marques en personne assista à une représentation et il déclara que c’était « la plus belle pièce sur l’exil » qu’il avait vu.
La graine chilienne prenait racine sur le sol français pour le féconder.
Mais elle développa son tronc, ses ramures et ses fleurs dans un endroit très désertique d’une ville très populaire où Oscar se sentait plus à l’aise qu’à Paris. A Ivry-sur-Seine, dans la région parisienne dans les années 80. C’est là où nous nous sommes connus et jamais quittés depuis.
L’endroit était très spécial car même des poulets couraient pendant le spectacle en picorant des miettes de pain sur le sol en passant entre les jambes des spectateurs. Danièle Mitterrand, alors première Dame de France, vint dans ce lieu étrange qu’il fallut vite mettre aux normes découlant de pareille visite officielle.
Ce lieu fut un lieu d’inspiration considérable pour Oscar. Il multiplia les créations. Et les représentations. La liste est particulièrement longue des pièces qui sortirent de son imaginaire.
Et ces créations, pour lesquelles dès 1982 il reçoit le prix Charles Dullin, attiraient des personnalités françaises très connues du monde du spectacle. Ce fut le cas de Pierre Barouh avec qui il créa toute une série de pièces et de musiques. Sait-on que la dernière chanson enregistrée par Yves Montand est sortie tout droit d’une création d’Oscar Castro et de Pierre Barouh ?
Il s’agit du « Kabaret de la dernière chance », titre de la pièce mais aussi d’une chanson, dont le grand Yves Montand pourra dire que ce fut l’une des plus belles qu’il enregistra. Et là encore, le succès était au rendez-vous et s’organisa une tournée internationale, Jusqu’au Japon où la pièce fut traduite en langue nippone.
C’est aussi l’immense photographe Pierre Doisneau – le fameux photographe du « baiser de l’hôtel de ville » – qui est séduit par ce théâtre au point d’en devenir le Président de 1988 jusqu’à sa mort. Merci Monsieur Doisneau.
La France officielle reconnut Oscar Castro et toute son œuvre jusqu’à l’honorer une première fois. Jack Lang, alors ministre de la culture, lui décerna une belle et significative décoration, celle de « Chevalier des arts et des lettres ». C’était en 1991.
Mais il était temps de changer de lieu – qui lui avait été prêté à titre provisoire – tout en restant dans cette ville d’Ivry si riche de ses habitants. Non sans quelques difficultés, vraiment absurdes, il s’installa dans une vraie salle où il se trouve désormais, depuis 1995, en même temps que lui fut accordée la nationalité française cette même année. C’était une ancienne usine de cartons située rue Christophe Colomb à Ivry. Un nom de rue particulier qui sonne comme une vraie provocation !
Dans ce lieu moins aléatoire que le précédent, la création théâtrale d’Oscar Castro se multiplia. Au moins une pièce par an. Des représentations suivies de repas chiliens avec vins chiliens et souvent de la musique. Une ambiance très latino-américaine très prisée par le public.
Et d’autres artistes connus jetèrent l’ancre dans ce théâtre, payés comme les autres, c’est-à-dire très peu. Ce fut le cas de Pierre Richard – Le grand blond à la chaussure noire – qui fit escale pendant trois ans. Et une autre tournée internationale s’organisa les conduisant jusqu’en Sibérie.
Et ce n’est pas tout : en même temps Oscar Castro développa un théâtre très original avec des gens sans la moindre expérience artistique. Un théâtre social se mit en place avec des exclus, des jeunes, des gens de divers métiers. Une école ouverte aux jeunes est également disponible. Le théâtre ayant cette vocation de délier et libérer des personnalités enfermées sur elles-mêmes.
Le travail créatif d’Oscar Castro est considérable. Deux lignes le traversent : la fidélité à ses engagements initiaux – changer le monde ou en tout cas le rendre plus humain – et toujours ce style entre mille autres reconnaissables : un théâtre fait de provocation et de poésie, de chorégraphie et de musique. Un théâtre qui dit les souffrances mais aussi l’espoir.
Tout ce travail et ces résultats sont dus à Oscar bien évidemment. Et il est aujourd’hui reconnu par la France comme un « grand » créateur avec cette distinction la plus élevée de notre pays qui lui est décernée, la Légion d’honneur.
Mais cette œuvre n’aurait pu être réalisée sans deux autres éléments essentiels pour Oscar Castro.
Sa femme, Sylvie, avec qui l’harmonie est telle que le contrat que je leur avais demandé de signer, il y a bien des années et dans un lieu au nom devenu tristement célèbre, le Bataclan, ce contrat a été réalisé. Je leur avais demandé, devant une foule nombreuse, de s’engager dans une aventure exceptionnelle : celle de l’amour, avec tout ce que cela induit et suppose. On peut dire que cette aventure a été féconde et réussie au point qu’on ne peut pas détacher Sylvie de cette décoration d’aujourd’hui.
Et puis il y a une profonde meurtrissure : celle de ces temps effroyables que connut le Chili. Car la mère d’Oscar fut parmi celles et ceux qui furent jetés vivants dans l’océan. A jamais disparue. Mais comment l’imaginer puisqu’à l’époque nul ne savait les raisons pour lesquelles elle n’était pas rentrée à la maison. Son mari l’attendra sans bouger, espérant son retour jusqu’à l’ultime instant de sa vie.
Que la couleur qui accompagne cette décoration soit celle des roses que nous envoyons vers ta mère, Cher Oscar, aujourd’hui et en ces moments, ici à Santiago. Je sais tout ce que cela représente pour toi. Et ton choix d’être décoré ici ne doit rien au hasard. C’est aussi ta mère Julieta et ton père, mon cher Oscar, que nous mêlons et associons totalement à cette haute distinction qui t’est attribuée par la République française.
Mais je suis bien long et on s’impatiente dans la salle !
Il me faut donc prononcer maintenant les paroles officielles sans lesquelles cette cérémonie serait nulle et non avenue et te remettre, cher Oscar, cette Légion d’honneur qui t’a été décernée par l’ancienne ministre de la culture, Madame Nyssen, sur sollicitation d’Anne Hidalgo, maire de Paris. Alors voici :
« Oscar Castro
Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur »

discours d'Oscar Castro recevant la légion d'honneur
17 janvier 2019
Ambassade de France au Chili
Allo Santiago, ici Paris. Ce n’est pas un appel téléphonique. C’est le titre du manuel de français que nous utilisions à l’Institut National et que je lisais frénétiquement les veilles de contrôles pour passer en rase-motte au-dessus de l’obstacle posé par Monsieur Osvaldo Arenas, notre cher “Chancho” [Cochon] Arenas, sans savoir que cette phrase “Allo Santiago ici Paris” allait devenir une obsession récurrente durant plus de 40 ans de ma vie.
Le “Chancho” Arenas était un professeur affable, un de ceux qu’on devrait garder chez soi pour ne pas oublier le pays de l’enfance qui nous manque tant. Si affable qu’il était capable de te donner rendez-vous chez lui à six heures du matin pour réviser une dernière fois et réussir le contrôle de français. Si affable qu’un jour il a arrêté son cours pour nous faire une révélation saisissante: "Les enfants, je sais que vous m’affublez d’un surnom". Nous nous regardâmes les uns les autres, entre l’angoisse et le fou rire, fou rire qui se déclencha lorsque le “Chancho” Arenas dit: "Je sais que vous m’appelez "el gordito" [le petit gros]. Un des élèves lança: "Et comment l’avez-vous su Monsieur, Comment ?"
Le Chancho Arenas, ma maison de l’Avenue Inglaterra, le parfum des oranges, les rires des amis… font partie de ces choses qui restent pour toujours au plus profond de l’être.
Ma vie a toujours vogué entre partir et revenir. Je suis parti et je suis revenu tant de fois que je ne sais plus où se trouvent le point de départ et le point de retour. Mais ce dont je suis persuadé c’est qu’avec tous ces allers-retours j’appartiens aux deux patries et ces deux patries m’appartiennent corps et âme, jusqu’aux os.
La première fois que j’ai quitté Colin - que j’ai appelée dans la fiction de mes œuvres de théâtre Maquegua, un village voisin avec un nom théâtral, alors que le Colin de mon enfance était connu avec ce nom peu glamour, comme le village des ânes - j’ai fait mes adieux à ma mère et, au milieu de cette nébuleuse d’allers et retours, c’est le seul événement qui reste inaltérable dans ma mémoire.
La saveur du lait maternel, celle du premier baiser et de la première déception, le premier enfant et la première fois sur les planches, sont trop importants pour les oublier bien que ta patrie t’ait renié trois fois, qu’elle t’ait expulsé et qu’elle ait apposé un L infamant sur ton passeport, un L qui me remplit aujourd’hui de fierté pour tout ce qu’il signifie. Cette lettre L qui m’interdisait à vie de retourner dans l’unique patrie que je connaissais, l’endroit où je suis né, où j’ai rêvé et où j’ai perdu maman à jamais.
Tout ça ne s’oublie pas bien que ta patrie adoptive ait pansé tes plaies, qu’elle ait ouvert ses portes, qu’elle t’ait contraint à ouvrir tes valises et qu’elle t’ait donné des ailes pour voler chaque fois plus haut.
On oublie encore moins quand ta mère, celle qui t’a donné la vie, détenue il y a presque 50 ans, reste à jamais disparue.
Pour tout cela, je vais et je viens, je pars et je reste, je parle deux langues et aucune, je suis d’ici et de là-bas.
C’est un voyage constant, un aller qui ne finit jamais et un éternel retour dans le sens des aiguilles d’une montre comme dans le sens inverse.
Ce ne fut pas un voyage facile et je préfère vous épargner les détails. Mais pour passer chaque épreuve, pour accéder à chaque réussite et pour persister dans chacun de mes rêves, j’ai un talisman infaillible, un secret qui coule dans mes veines, un cheval pour toutes mes batailles : l’enthousiasme.
Vous savez ce que signifie enthousiasme ? Ça vient du grec “entusiasmos” qui signifie détenir tous les dieux de l’univers à l’intérieur du corps. Pas mal ? Hein ? Et jusqu’à ce jour je ne savais pas que j’avais tous les dieux de l’univers en moi. Mais mon ignorance ne m’a pas mal réussi.
Par enthousiasme j’ai été capable d’aborder le recteur de l’Université Catholique, Don Fernando Castillo qui nous a octroyé la salle de Lastarria 90 alors qu’on n’avait pas encore 20 ans.
Par enthousiasme nous avons fait du théâtre sans savoir en faire et nous avons gagné les prix de la critique avec nos premières pièces de théâtre.
Par enthousiasme nous avons contraint Pepe Duvauchelle à diriger notre première pièce, nous avons fait d’Hector Noguera notre mentor et notre ami, nous avons appris de notre maître Eugenio Dittborn et nous avons fait la fête avec Grotowski une nuit à Cordoba.
Par enthousiasme je fus capable, non seulement de supporter la prison mais aussi de rêver et faire rêver des milliers de camarades détenus dans les camps de concentration.
Par enthousiasme je suis arrivé sans rien à Paris où j’ai reformé mon groupe, j’ai fait du théâtre en espagnol où personne ne me comprenait et j’ai fini par construire mon propre théâtre.
Par enthousiasme j’ai travaillé avec Marcel Marceau, avec Ariane Mnouchkine, avec Peter Brook, avec Pierre Barouh, Pierre Richard, Adel Hakim, Claude Lelouch, Mikis Theodorakis, Danielle Mitterrand, Gabriel Garcia Marquez, et tant d’autres maîtres qui m’ont offert leur talent et leur amitié.
Par pur enthousiasme j’ai fait du théâtre n’importe où, n’importe quand, n’importe comment, avec n’importe quoi et n’importe qui. Et c’est ainsi que l’Aleph ne distingue pas le théâtre professionnel du théâtre amateur, entre les acteurs confirmés et les débutants, parce que tous sont partie d’un seul et même spectacle.
Par enthousiasme nous faisons du Théâtre populaire et par enthousiasme nous inventons le Théâtre des Gens et des métiers (TGM) où des personnes qui n’ont jamais fait de théâtre se transforment, après quelques jours intenses et remplis d’enthousiasme, en protagonistes de l’œuvre de leur vie.
Et c’est grâce à l’enthousiasme que j’ai reçu des distinctions et des reconnaissances surprenantes et inespérées. Tout ça pour un travail que j’exerce depuis très jeune pour une raison peut-être trop simple : je ne sais pas faire autre chose, raison pour laquelle il ne s’est pas passé un jour de ma vie sans que je ne fasse du théâtre. C’est ma passion, ma compagnie, ma famille et mon refuge. C’est ma manière d’être dans ce monde et croyez-moi, il n’y a pas plus ahurissant que d’être décoré pour faire ce qui te plaît le plus dans ta vie.
Grâce au théâtre j’ai reçu une distinction qui m’accompagnera jusqu’au jour de ma mort: Étant prisonnier dans le camp de concentration, je fus nommé par mes camarades Maire de la République Indépendante de Ritoque, proclamé comme unique territoire libre du Chili parce que le reste des chiliens étaient otages de la dictature. Avec un frac en lambeaux, un haut-de-forme sans fond et une écharpe présidentielle tricolore délavée sur le torse, j’étais le dépositaire des peines, des joies et des espérances des prisonniers et nous résistions ainsi avec les armes de la culture contre la volonté de nous détruire l’âme.
Je fus, après Luis Corvalán, un des derniers prisonniers à quitter le camp de concentration pour recevoir l’accueil humanitaire de la France, cette France que le “Chancho” Arenas nous avait enracinée dans le cœur. Je me souviens encore de l’accolade de bienvenue que Roland Husson m’a donnée dans le camp de concentration, m’annonçant la nouvelle que la France me recevait et que je sortais sous la protection du gouvernement, Roland Husson, ce formidable et vaillant attaché culturel de l’ambassade de France qui a sauvé des vies et libéré des prisonniers et que nous n’oublierons jamais.
Je suis alors parti, sans autre bagage que les morceaux du pays qui me restaient et une valise remplie d’enthousiasme. Oui, le même enthousiasme qui m’avait amené à créer le théâtre Aleph sans avoir jamais foulé une scène, le même qui m’a poussé à emmener le théâtre dans les lieux où le peuple vivait, le même qui m’a permis d’être heureux derrière les barbelés des camps.
Quand je suis arrivé à Paris, les comédiens du théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine m’attendaient et ils m’ont prêté un petit appartement sous les toits d’où je voyais la tour Eiffel. J’ai voulu prendre une photo de la tour mais on ne la voyait pas en entier car la fenêtre était trop petite. Alors, j’ai pris la tête, puis le milieu et les pieds et j’ai pu coller les trois photos et je me suis dit, voilà le secret de l’exil : savoir recoller les morceaux.
Puis la France s’est chargée de tout me donner. Quand j’écrivais pour rassembler les morceaux, ce qui te reste dans l’exil, on m’a nommé, ce qui était inimaginable, membre du PEN Club de Paris. Imaginez un peu, le troisième chilien après Pablo Neruda et Vicente Huidobro et le premier indien Picunche à entrer dans l’Olympe des lettres françaises.
Ensuite, encore moins probable, on m’a nommé Chevalier des Arts et des Lettres de la République française, une distinction pour les grands de la culture française et moi, le petit indien, avec mon petit théâtre à Ivry sur Seine, la commune communiste qui m’a reçu avec ma famille quand nous sommes arrivés sans rien du Chili.
Une des distinctions qui me plaît le plus c’est celle que m’a octroyée la ville de Corbarieu, qui organise depuis plus de quinze ans au mois de juillet le festival Mediodia de Aleph, dont je suis président d’honneur, qui réunit théâtre, musique et peinture latino-américaine. Ce festival comprend également des activités sportives dont le point culminant est le championnat de pétanque, jeu national français, qui porte le nom de "Challenge Oscar Castro". Imaginez ce que cela représente pour moi qui n’ai jamais su jouer à la pétanque !
Enfin, dans le parc de ce village, les organisateurs du festival ont planté un araucaria venu du Chili qui porte le nom de Julieta, en souvenir de maman.
Je me souviens d’un jeu quand j’étais enfant qui consistait à dire ce qu’on aimerait être si on renaissait. Un disait : moi j’aimerais être un lion ; un autre disait : moi j’aimerais être un cheval… Je ne savais pas que ma mère voulait être araucaria. Et maintenant je suis heureux car je la vois chaque année lorsque je vais là-bas.
Quand on a reçu autant on devrait être blasé. Mais croyez-moi, ce 14 juillet, jour de la fête nationale en France, nous étions en Grèce au pied du mont Pélion, la montagne où les dieux venaient se reposer, et j’ai reçu une nouvelle si incroyable que je n’ai rien trouvé de mieux que de rentrer tout habillé pour m’enfoncer dans la mer Egée, comme "Alfonsina y el mar", cette merveilleuse chanson qui me rappelle toujours maman.
Au journal officiel français, le Président de la République m’avait nommé Chevalier de la Légion d’honneur, la plus grande distinction de l’état français qui m’a été octroyée pour cinquante ans de service comme dramaturge, metteur en scène, acteur et directeur d’un théâtre. En tant que citoyen français j’aurais dû recevoir la décoration en France, des mains d’un Chevalier renommé. Mais je voulais, avec cette distinction, unir mes deux chemins, de départ et de retour. Je voulais que ce cadeau de la France soit aussi un cadeau pour le Chili. Et une fois de plus ma mère adoptive, ma France éternelle a fermé les yeux et a dit Oui.
Contre tout protocole, et grâce à son excellence l’ambassadeur de France au Chili, on m’a permis de recevoir la Légion d’honneur à 11.000 kilomètres de distance, ces kilomètres que le député Jean Claude Lefort a dû également parcourir pour être avec nous ce soir pour me remettre la décoration. Aujourd’hui se trouvent ici la patrie où je suis né et que je n’ai jamais pu quitter et la patrie qui m’a reçu et que je n’abandonnerai jamais.
Maintenant tout est prêt, disposé, comme il faut, mais attention, cette décoration ne marque pas la fin de cinquante ans de vie artistique, c’est le commencement des prochains cinquante ans que j’accomplirai en France comme au Chili avec Gabriela Olguin, directrice du théâtre Aleph Chili et avec une quantité fabuleuse de personnes qui avec enthousiasme a su remonter le théâtre Aleph au Chili, à la Cisterna… Tout cela avec que de l’enthousiasme, que de l’enthousiasme…

LA DEMOCRATIE DE LA PEUR
24 novembre 2018
La nouvelle création du théâtre Aleph
ALEPH NEWS
28 SEPTEMBRE 2018
Attention nouvelle création

TRILOGIE THEATRALE
1er août 2018
LE PUBLIEUR.COM publie une trilogie d'Oscar Castro
La trilogie:
"Il était une fois un roi"
"La guerre"
"Et la démocratie bordel !"
est en vente sur LEPUBLIEUR.COM. Merci à tous les amis qui ont permis cette publication. Elle sera très bientôt en e.book en français et en espagnol...

LEGION D'HONNEUR
14 juillet 2018
Notre directeur est nommé Chevalier
Extrait du JO du 14 juillet 2018 : Par décret du Président de la République en date du 13 juillet 2018,est nommé pour prendre rang à compter de la date de réception dans son grade : Au grade de chevalier de la Légion d'honneur : M. Castro, né Castro Ramirez (Oscar, Emilio), dramaturge, metteur en scène, acteur, directeur d'un théatre ; 50 ans de services.
Dans la meme promotion que Claude Lelouch!!!
ADEL HAKIM
29 août 2017
Adel Hakim nous a quitté ce jour après avoir écrit une lettre d'adieu: "Libre Adieu". Nous rendons hommage à ce merveilleux ami avec qui nous avons partagé deux expériences inoubliables, sa mise en scène de deux pièces d'Oscar Castro: "Le 11 septembre de Salvador Allende" et "La nébuleuse vie de Jose Miranda" dans laquelle il interprétait lui-même le diable avec maestria. On t'aime fort Adel. Adel Hakim, ahora y siempre.
LIBRE ADIEU
Adel Hakim
Ivry sur Seine, 15 août 2017
En 1975 la France rend légale l’interruption volontaire de grossesse.
En 1981 la France proclame l’abolition de la peine de mort.
En 2013 la France légalise le mariage pour tous.
Chacune de ces lois élève le niveau de respect et de dignité des citoyens.
Une personne désespérée de son mode de vie, de ses souffrances physiques ou mentales, des violences, des injustices et humiliations qu’elle subit au quotidien peut vouloir se donner la mort. Le plus souvent en s’isolant. Se pendre, se tirer une balle dans la tête, avaler des masses de cachets, se faire harakiri.
Ou devenir kamikaze. Seul ce dernier choix de suicide pris par de jeunes terroristes est empreint de colère et de vengeance qui va chercher à tuer des victimes innocentes.
Le 17 décembre 2010 a eu lieu en Tunisie une auto-immolation par le feu de Mohamed Bouazizi sur une place publique. Les autorités avaient confisqué la marchandise à ce jeune vendeur ambulant de fruits et légumes dans la ville de Sidi Bouzidi. La révolution tunisienne a débuté ce jour-là nommée « Révolution du Jasmin », rappelant la « Révolution des Œillets » au Portugal de 1974.
C’est dire combien la relation entre la vie et la mort porte du sens à l’humanité. Un sens qui ne peut être ignoré. Les sociétés capitalistes, donc purement matérialistes, ne font que l’occulter. Cette ignorance finit par produire des drames puis des tragédies.
L’expérience que je vis depuis près de trois ans, affecté d’une sclérose latérale amyotrophique, maladie dégénérative avec, justement, une espérance de vie de deux ans et demi, m’a fait découvrir de manière intime une nouvelle expérience de vie. Une autre liberté. Une liberté interdite par la législation française.
Malgré cette interdiction des autorités françaises de faire un choix de fin de vie tel qu’un suicide assisté, je me considère comme un privilégié. Malheureusement, la majorité des français n’ont pas accès à ce type de privilèges. Ceci m’attriste pour eux. Une lutte doit être constamment menée par les citoyens pour défendre les concepts de Liberté, Égalité, Fraternité. Et qu’une concrétisation de ces concepts soit un jour acquise.
Ce privilège que j’ai eu repose sur mon statut, mes ressources financières, l’ouverture d’esprit de mon entourage. Aucun de mes proches, dont ma fille unique Lou, ne s’est opposée à ma décision. Ce privilège m’a permis d’adhérer à une association en Suisse, Dignitas, pour fixer mon dernier jour de vie sur notre planète : le lundi 28 août 2017.
Avec Dignitas tout est mis en œuvre de manière rigoureuse sur les plans administratif, juridique, médical. Une forte attention aux demandes des patients. Cette attention est accordée avec une parfaite distance, avec respect et sans empathie.
Malgré toute ma confiance et mon estime à l’égard de Dignitas, le fait qu’il faille voyager en ambulance pendant 8 heures vers les alentours de Zurich alors que je réside à Paris est un déplacement lourd pour moi et pour les proches qui m’accompagnent.
Problèmes d’élocution, de salivation, de fasciculation, de perte de poids, d’affaiblissement des muscles, de respiration, d’alimentation… Des symptômes caractéristiques de cette maladie qui a surgi dans mon cerveau et qui a affecté une partie de mes neurones.
Prendre la parole clairement, argumenter, dialoguer, lire des textes en public fait partie du métier théâtral et des activités artistiques du spectacle vivant. Perdre la capacité de parler, de m’exprimer oralement en tant qu’homme de théâtre a un impact primordial. Malgré cette difficulté, j’ai essayé de poursuivre le plus longtemps possible ma fonction de metteur en scène, d’auteur et de directeur. Mais pas en tant qu’acteur.
L’équipe du Théâtre des Quartiers d’Ivry, centre dramatique national du Val-de-Marne, a été assez vite au courant de ma maladie. Elle m’a fortement soutenu dans mon travail. Elle a accepté que je reste au poste de co-directeur artistique avec Elisabeth Chailloux jusqu’à la fin de notre mandat qui vient à échéance au 31 décembre 2018. Ce ne sera pas le cas pour moi. Je n’y serai pas. Cette échéance est trop lointaine pour mon corps.
Avec l’évolution de cette maladie qu’aucun traitement médical ne peut faire régresser, j’ai tout fait pour être présent à l’inauguration de la Manufacture des Œillets. Et poursuivre la première saison du Théâtre des Quartiers d’Ivry dans ce magnifique lieu. Je souhaite donc à tous une belle saison 17-18 et une belle année 2018.
Depuis quelques mois, perdre mon autonomie en termes de mouvement, de paraplégie m’est devenu insupportable. D’où mon souhait d’aller auprès de Dignitas. Il ne s’agit pas d’une euthanasie mais d’un suicide assisté avec une volonté consciente du patient de mettre fin à ses jours compte tenu de sa difficulté à survivre. Comme quoi parfois une mort sereine est la seule solution face aux souffrances générées par l’acharnement thérapeutique.
Dans cette situation, le fait de pouvoir adresser un Libre Adieu est très étonnant. Une fois la date fixée pour passer de l’autre côté du miroir, le sens de chacun des jours restants est une boule de cristal d’une richesse infinie.
Cette date de dernier jour de vie décidée en amont est impossible pour la très grande majorité des humains. Néanmoins, un équilibre Ying et Yang, Eros et Thanatos, Vie et Mort, rassérène. Il n’est pas nécessaire d’être angoissé par l’idée de la mort. Il faut l’accepter car c’est un passage inéluctable vers l’au-delà. Aucun de nous n’est immortel. Aussi faut-il vivre avec plaisir, partage, solidarité, porter attention et secours, entre autres, aux démunis et aux migrants.
Alors, ADIEU, chers vivants !
Avant notre naissance, tout au long de notre vie et après notre mort, nos cellules, nos molécules, notre esprit, nos rêves, nos souvenirs, appartiennent au système Solaire, à la Voie Lactée, à notre Galaxie et à l’Univers dont nous ignorons les limites.
Je vous embrasse avec tous les espoirs de paix et d’amour que nous portons dans nos cœurs.
Adel Hakim
